Quelques-uns des cents regrets

paysages, peines

"Je revenais vers des lieux engourdis, des paysages qui me parlaient au cœur avec l’accent traînant des peines jamais guéries"

naissance, mère

"Je suis né dans un jeune ventre de seize ans. ... Il m'a fallu du temps pour me rendre à cette vérité qui faisait de moi le petit assassin, le meurtrier geignard d'une fleur à peine éclose qui n'a jamais connu la lumière des rêveries. J'ai fait sombrer une enfant dans le monde des mères. Ma venue l'a fait glisser dans la nuit. La nuit de l'abandon et de l'étroite amertume."

oeil, âge

" Il était difficile de donner un âge au bistrotier car sous les rides nombreuses de la face couraient encore des forces vives. Mais il y avait les cheveux gris, les muscles des bras lâches comme du mou de veau, le ventre défait sous le maillot rayé, et l'oeil surtout, l'oeil qui jamais ne ment, l'oeil de Jos qui disait les brisures et les coups, toutes les lâchetés de la vie, son fiel et son ennui, l'oeil qui voyait se dessiner la fin."

silence, curé

" Je n'ai jamais aimé le silence des curés, ni les regards qu'ils plantent dans les nôtres. Ce sont les spécialistes du silence : ils attendent que l'autre se trahisse, succombe à leur profondeur en avançant le premier mot qui dévidera la pelote entière. Après, tout n'est qu'affaire de métier, ils obtiennent souvent de retourner la peau de l'individu comme celle d'un lapin et de donner au ciel toutes ses écorchures."

mort

" Les gens veulent toujours savoir de quoi sont morts les morts, mais l'important n'est pas là....La vraie question, c'est pourquoi ils sont morts, et celle-là, cette question, on ne se la pose jamais...Vous vous êtes demandé, vous, pourquoi votre mère était morte ? Je suis sûr que non ! Et pourtant, tout est là, mais on n'a jamais la puce à l'oreille...Vous savez, on ne meurt pas sans raison, le jour et l'heure non plus ne tiennent pas au hasard, pas plus que le choix de la maladie ou de l'accident; demandez-vous pourquoi votre mère est morte, et vous aurez fait un bon bout de chemin vers elle....Tout le reste les simagrées, la douleur qu'on s'impose, le chagrin, les remords, c'est de l'esquive, du mal qui rassure, si vous voulez !"