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Les citations sérieuses du docteur Chabry
Les citations sérieuses du docteur Chabry
  • Orpailleur littéraire, voilà ce que je suis. Les livres sont pour moi des rivières dans lesquelles je cherche des paillettes d'or. Mon trésor à moi ce sont les citations que j'extrais de mes lectures, ce sont mes pépites!
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Les  citations sérieuses du docteur Chabry
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8 mars 2019

Dans l'atelier de l'écriture

 

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écriture, roman

" Avant de vous mettre à écrire pour de bon (et même pendant que vous écrivez, ou même après), je crois qu'il est bon de lire ce que des écrivains disent de leur travail. Et quand je dis "travail", je parle bien du métier, de ses tracas et de ses problèmes concrets.......Laissez tomber les déclarations générales et attachez-vous aux remarques qui touchent à la pratique de l'écriture concrète : celles qui parlent de sueur et de technique. Au besoin, relevez-les dans un carnet que vous pourrez relire pour confirmer vos choix ou vous consoler d'un échec.

Dans une bibliothèque, consultez les journaux intimes ou les correspondances d'écrivains. Souvent, dans ces écrits où ils ne sont pas tenus de prendre la pose, ils parlent très franchement de leurs problèmes. Si vous voulez quelques noms, sachez que j'ai beaucoup appris en lisant les lettres de Raymond Chandler (un des pères du roman noir américain), de Roger Martin du Gard (romancier français), ou encore les échanges de lettres entre Anais Nin et Henry Miller, ou Hemingway et Francis Scott Fitzgerald, sans oublier bien sûr la correspondance de Flaubert. Et j'ai un vrai faible pour les lettres de Jacques Chardonne, styliste exact, dans Ce que je voulais vous dire aujourd'hui. La liste de ces écrits est sans fin...

Lisez enfin quelques textes où un auteur tente d'exposer honnêtement son travail. Par exemple Ecriture : Mémoires d'un métier, de Stephen King qui explique très clairement comment il procède. J'ai aussi bien apprécié le très court Mes dix règles d'écriture, d'Elmore Lonard (polardeux américain). Quant aux Lettres à un jeune poète, de Rainer Maria Rilke, que beaucoup citent en s'extasiant, je crains d'y trouver plus de philosophie que de remarques techniques sur l'écriture concrète - mais peut être cet ouvrage sera-t-il décisif pour vous."

" Le fond de l'affaire est que la rédaction d'un texte de fiction s'apparente à une aventure dans un pays mal cartographié : vous connaissez le lieu de départ, vous avez une idée de la contrée d'arrivée, et vous savez qu'entre les deux c'est à vous d'élaborer le chemin en progressant parmi des terres vierges."

" En d'autres termes, lorsque vous avez achevé le premier jet de votre texte, il faut vous retrousser les manches et tout reprendre, page après page et ligne après ligne. Rassurez-vous, presque tous les écrivains procèdent ainsi. On commence par aller jusqu'au bout d'une première mouture, ne serait-ce que pour savoir qu'on a été capable de l'achever. cette version est souvent bavarde, encombrée, déséquilibrée, complaisante, truffée de passages inutiles et entrelardée de digressions. Oui mais elle existe, elle est là, et c'est un gisement sans doute riche de possibilités précieuses. Il ne reste donc plus qu'à l'exploiter comme il convient, c'est à dire à considérer ce document comme une matière première qu'il s'agit à présent de poser sur l'établi pour lui donner sa forme définitive à coups de scie électrique, de ponceuse et quelques fois de marteau. Démolir, trier, ôter, balayer, gratter, retoucher, corriger, rectifier, fignoler, remodeler : d'un mot écrire."

" un texte mérite les corrections les plus sévères si l'on veut que le lecteur le trouve souple et facile. Le naturel n'est pas spontané, on ne l'obtient qu'à force d'ajustements. On simplifie, on épure, on déplisse, on distille. On traque les formules complaisantes, on opère des coupes franches. On gomme. On chasse les passages inutiles, on supprime les répétitions, on resserre. Ici ou là, on ajoute un passage de liaison. On cherche à ce que tout paraisse aller de soi."

"Quant aux points d'exclamation, je les abhorre : ce sont des garnements qui tirent le lecteur par la manche comme le faisaient certains condisciples qu'on a fréquentés à l'école et qui nous soufflaient sans cesse à l'oreille "eh, Machin, eh, psst Machin". Insupportable. Quand d'aventure je tombe sur un texte qui multiplie ces points d'exclamation, les redouble de points d'interrogation, et ajoute parfois des majuscules ("Et alors que vit-il ? Horreur !  Ce n'était tout de même pas un monstre ? ! Si!!! Le monstre !!!) j'ai envie d'assassiner un écrivain qui méprise aussi ouvertement les capacités d'intelligence du lecteur. Certains déjà se récrient : comment ! pas de points d'exclamation ! ni de suspension...c'est trop fort..cet oukase;;;quand Céline les multipliait;;;;le rythme ! la musique ! la gavotte des mots! etc. Bon admettons. Mais honnêtement, pour un seul Céline, combien de vociférateurs à la petite semaine ? Ils ressemblent à ces vendeurs de marché forain qui, pour attirer le chaland, lançaient avec violence des assiettes sur le macadam. Je crois qu'il n'est pas bon d'écrire comme un casseur d'assiettes. Je crois plutôt que mettre la langue en musique réclame de la délicatesse et de la subtilité."

" Dans l'écriture, le savoir-faire est surtout un art de ne pas trop en faire : un art de la suggestion."

description

" C'est à peu près le même problème pour les descriptions. Chargées de dessiner le cadre de l'action, ou de souligner tel détail important, elles plombent la lecture si elles sont plaquées sur le texte comme des morceaux de bravoure. Passe encore si l'auteur est un virtuose dont l'écriture éblouit, mais hors de ce cas c'est souvent une purge pour le lecteur. Mieux vaudrait ne retenir qu'une poignée de traits caractéristiques et bien choisis - une odeur, une lumière, un objet singulier etc;- plutôt que d'embourber le texte dans trois pages d'une écriture bien léchée qui paraît chercher l'approbation d'un manuel scolaire."

"...Il est temps d'aborder de front le problème des descriptions et d'oser dire que bien souvent elles encombrent. Bon, d'accord, les pages que leur consacrent les auteurs du 19e siècle sont admirables, mais soyons honnêtes, elles nous barbent parfois. Par bêtise, par paresse ? Non : tout simplement parce que l'époque a changé. Les écrivains classiques étaient obligés de fignoler le tableau des paysages, des vêtements ou des intérieurs pour aider le lecteur à se figurer la scène, alors que nous avons pris l'habitude des photographies, des journaux, des reportages, du cinéma et de la télévision. Nous avons appris à voir autrement et nous sommes vaccinés contre les longues descriptions.

dialogue, gestes, cinéma

" Un des bons moyens pour obtenir cette efficacité est aussi de couper. En supprimant des phrases, des réponses, des mots, on empêche souvent le dialogue d'être trop explicatif. La parole brute qui laisse des silences, est lourde de significations. On ne coupe jamais assez dans les dialogues.On a d'autant plus intérêt à ces élagages que la technique du dialogue permet une économie très efficace, grâce aux courtes notations qu'on peut glisser entre les répliques. Le bruit d'une horloge, la couleur d'une ombre, des gouttes de pluie sur les fenêtres, l'odeur d'une maison de vacances qu'on retrouve, le frottement de deux tissus qui fait grincer les dents, une buée de fraîcheur sur un verre de bière. Ces touches à priori anodines mais précises soulignent une atmosphère, dessinent une situation, la contredisent au besoin, et donnent en définitive le ton exact de ce qui se passe dans la scène tout en évitant le risque de longues descriptions. Mieux encore, on peut ainis révéler des caractères: un mouvement qui dément les paroles, un coup d'oeil, une détente, une cigartte qu'on éteint, des doigts qu'on crispe. Le cinéma nous a enseigné depuis longtemps la vérité révélée par les gestes qui échappent à leur auteur. Et le lecteur comprend très vite la situation écrite grâce à quelques incises judicieuses qui donnent tout à comprendre sans s'étendre longuement."

personnages, voix

" Reste à faire monter le régime de cette machinerie pour lui éviter de ronronner à petite vitesse, et le meilleur moyen est de forcer les personnages comme on force une plante pour qu'elle pousse plus vite et qu'elle soit plus belle. Comment y parvenir ? En évitant d'être raisonnable dans la description de leurs réactions. En refusant d'en faire des êtres purement logiques et réfléchis. En introduisant un léger biais dans leur conduite. En cultivant leurs réactions inattendues. En acceptant qu'il nous étonne. Quitte à nous effrayer ? Quitte à tirer le récit vers le tragique ? Bien sûr. Si l'on veut qu'ils aient de la puissance, il faut bien accepter qu'ils échappent aux conduites les plus retenues."

" Voilà un point important : la différence des angles de vision engage une différence des voix : des vocabulaires spécifiques, des grammaires particulières. Un vieil académicien ne parle pas comme un footballeur....d'où la nécessité, parfois, d'employer un lexique très familier pour respecter le caractère du personnage."

" Veillez aussi à ne "parler des personnages qu'après les avoir fait paraître" : cette recommandation d'Alexandre Dumas, grand conteur s'il en fut, est à l'opposé de ce qu'on lit dans certains gros romans américains où, dès qu'un personnage nouveau déboule dans l'histoire, l'auteur tartine trois pages pour nous expliquer son origine, sa vie, ses aventures, son caractère et tout ce qui s'ensuit, éteignant ainsi la vivacité du récit. Que les personnages intéressent d'abord par leur action, il sera toujours temps ensuite de faire leur portrait."

" l'auteur a intérêt  à ne jamais nommer les émotions des personnages. Si vous écrivez que Martin est "affecté par la nouvelle qu'il reçoit", qu'elle " l'attriste" ou le "remplit de satisfaction", que reste-t-il au lecteur pour imaginer la scène ? Il n'imagine rien, et vous avez dilapidé le pouvoir d'évocation du texte. Si au contraire vous signalez le petit sourire que Martin retient, ou sa manière de se pincer le nez en évitant le regard de son interlocuteur, alors c'est le lecteur qui tire la conclusion de son observation. Au fond, c'est exactement comme si on ne donnait que des symptômes au lieu de livrer le diagnostic : fièvre, fatigue, frissons, sensation de faiblesse dans les membres ? Au lecteur de conclure à la grippe."

 ton, première phrase, phrases

" Cependant, il arrive que la piste la plus prometteuse se termine en cul- de- sac. On s'enthousiasme, on écrit une page, et puis on cale. En général, ce blocage vient du fait qu'on n'a pas encore trouvé le ton du récit : la musique qui va le faire chanter. Tant qu'on n'a pas mis la main sur cette fichue musique, le travail reste en plan et court le risque d'être enterré au fond de ces fameux tiroirs où dorment des textes qui n'ont jamais rencontré leur forme. Le moyen de se tirer de ce mauvais pas est de trouver la première phrase : celle qui donne le la. "

" Tout écrivain connaît cette expérience : il a dans la tête un point de départ qui le titille, il se lance avec confiance dans la rédaction, mais rien ne vient. Les phrases piétinent, les mots se refusent. Il insiste. Toujours rien. Il s'acharne, et son travail ressemble de plus en plus à une mayonnaise qui ne prend pas. Jusqu'à ce que surgisse une phrase qui, soudain, débloque la situation. Dès qu'elle apparaît, c'est comme si l'auteur avait trouvé sa voix : il sait à présent sur quel ton mettre le texte en musique. Telle est la vertu de la première phrase (un incipit, en termes savants) : c'est très exactement une entrée en matière - dans la matière de l'écriture qui vient.

 " Supposons par exemple que j'aie en tête, pour lancer un récit, l'image d'un mur mitoyen par-dessus lequel on peut lorgner dans le jardin du voisin, et que j'écrive : "Il y avait beaucoup de fleurs au fond du jardin et Martin aimait regarder leurs belles couleurs et sentir leur doux parfum" : comment un lecteur pourrait-il avoir envie de continuer à lire ? La formulation est si plate qu'elle décourage, et je m'ennuie déjà me relisant. En revanche si j'écris : "Quoique myope, Martin était tombé amoureux de la rose trémière qui avait par hasard poussé au fond de son jardin, juste au pied du mur, et tous les soirs en rentrant du bureau, etc..", alors il se peut que les phrases suivantes viennent un peu plus facilement, parce qu'elles sifflotent un petit air qui m'invite à l'écouter et à en savoir un peu plus sur ce Martin que je découvre myope et sur cette rose inattendue. Il y a même des chances pour que le lecteur me suive dans ce voyage.

De là l'importance de l'incipit. Il entraîne l'écriture. Il ressemble à l'un de ces petits remorqueurs qu'on voit dans les ports tirer derrière eux d'énormes cargos. Quand la phrase liminaire est là, le texte peut appareiller vers la haute mer parce que le capitaine du navire sait que désormais que les machines vont tourner à un bon régime.......Toute provisoire et vacillante qu'elle ait pu être, c'est cette première phrase qui a constitué le déclic décisif du travail, et c'est ce qui compte. Il n'y a donc rien de plus simple. Si vous voulez écrire une nouvelle ou un roman, il vous suffit de commencer par le commencement : écrire la première phrase."

  " Cet intérêt pour les rythmes concerne les phrases également. Quand leur longueur ne varie pas, ou peu, on le sent vite à la lecture, et une monotonie s'installe. L'ennui guette. Lorsque je tombe sur un auteur qui n'apprécie que les phrases très courtes et qui les additionne, j'aimerais qu'il cesse de temps en temps de se croire seul au monde et qu'il ait la gentillesse de me réveiller de temps en temps de la torpeur où me plonge son rythme mécanique et lancinant. Idem pour les adeptes de la phrase interminable qui s'enroule sur elle-même : je veux bien admirer la virtuosité du style, mais j'apprécierais de pouvoir quelques fois revenir à la surface pour respirer. Écrire avec souplesse, c'est varier les longueurs et l'ampleur des phrases. C'est laisser respirer le langage."

 adjectifs

" Disons-le sans détour : quand on ouvre un livre, à quoi voit-on presque à coup sûr qu'on n'a pas affaire à un écrivain de haute volée ? A la profusion d'adjectifs. Ils viennent dans la phrase avec tant de naturel et de spontanéité qu'on les laisse s'installer en oubliant que ce sont des petits animaux à la reproduction très rapide. Si vous leur cédez, ils ne s'arrêteront plus. Donc pas de pitié, tirez à vue. Leur premier défaut est d'être des vendeurs sans scrupule, qui se paient de mots. Examinez les publicités, elles regorgent d'adjectifs. "Formidable, efficace, inouï, surprenant, délicieux, élégant" et j'en passe. Si vous ne tenez pas à ce que votre prose ressemble à dépliant commercial ou touristique, fuyez les qualificatifs. Dans l'un de mes tout premiers textes, j'avais écrit "un ciel pur, clair et radieux", et l'éditrice avait eu raison de se moquer de cette redite et de me tanner jusqu'à ce que j'écrive "sans nuage", qui suffisait bien.

Le second défaut des adjectifs est pire : ils représentent un jugement partisan qui cache la scène au lecteur et court-circuite son imagination.....Se méfier des adjectifs n'est donc pas seulement négatif : c'est s'obliger à trouver l'expression qui fait mouche et précise votre description."

 

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