Ordesa

capitalisme, loyer, logement, travail

" Il m'est soudain apparau que ce logement ne vaut pas le loyer que je paye. Je suppose que cette certitude est la preuve la plus évidente de la maturité d'une intelligence humaine sous le poids du capitalisme. C'est pourtant grâce au capitalisme que j'ai un toit." 

" J'ai longtemps été shooté à la fiche de paye...Je me rappelle..j'avais rendez-vous avec mes supérieurs pour leur annoncer que je partais, que je démissionnais. Cela faisait vingt-trois ans que j'enseignais dans le secondaire, je n'en pouvais plus. Je ne savais pas combien d'années de vie il me restait, mais je voulais les vivre sans être asservi. Je pensai que j'en avais plus que pour quelques années, et je comptais les consacrer à contempler mes morts ou à n'importe quoi d'autre, y compris la mendicité. Maintenant j'allais vivre de vent..Adieu la paye. Et la vie a repris, je me suis rendu compte que je n'avais jamais été libre au niveau professionnel. J'étais euphorique. Fier de moi.....la vie revenait, qui n'était plus dédiée à toute heure à sa transmutation en feuilles de paye, en salaires, en prévisions pour la retraite. Désormais mes heures ne valent rien. Elles étaient pleines de vie, une vie sans droits du travail."

vie, homme

" Comme toujours, j'ai pensé à la déchéance économique. La vie d'un homme est, par essence, la tentative de ne pas être ruiné. Peu importe ce qu'il fait, se retrouver sur la paille est le pire des échecs. Quand on est incapable de nourrir ses enfants, on n'a plus aucune raison d'exister dans la société."

enfant de remplacement, deuil, père

" Le temps passe sur la mort de mon père...si bien que je reste seul avec mon père. Je suis l'unique personne au monde à l'évoquer tous les jours. Et je contemple au quotidien son effacement, qui a fini par se convertir en pureté.  Ce n'est pas tant que je l'évoque chaque jour, mais il est en moi en permanence, je me suis retiré de moi même pour lui faire une place."

" A la mort de mes parents, ma mémoire est devenue un fantôme irritable, effrayé, enragé...Rien n'est plus indigne que la grisaille de l'inexistence. Il est abject d'abolir le passé. La mort de nos parents est abjecte."

" Avec la mort de mon père, le chaos s'est installé, car celui qui savait qui j'étais et pouvait en définitive assumer la responsabilité de ma présence et de mon existence n'était plus de ce monde. C'est sans doute une des choses les plus originales de ma vie. La seule justification sûre et certaine de notre présence sur terre réside dans la volonté de notre père et de notre mère. On est cette volonté. La volontée transférée à la chair."

piscine, fleuve, rivière

" Ma mère m'emmenait à la piscine municipale. C'est là qu'on m'a appris à nager et que j'ai beaucoup bu la tasse. C'était l'époque du boom des piscines municipales. Toutes les villes de plus de dix mille habitants s'étaient émancipées des rivières et des fleuves...Alors nous avons oublié les fleuves et les rivières, qui ont fini par devenir des déversoirs."

enseignement

" Et tout se décompose. Il n'y avait pas de photos des professeurs retraités dans les couloirs des lycées. ¨Pas de mémoire parce qu'il n'y avait rien à évoquer. Ces collègues sont devenus fous à force de vivre de manière étriquée et de ne pas sortir du lot, alors ils humiliaient et méprisaient leurs élèves. Les gamins étaient rabaissés, meurtris par leurs professeurs, ces médiocres plein de ressentiment à l'égard de la vie. Ils n'étaient pas tous ainsi. Certains aimaient l'existence et tentaient de transmettre cet amour à leurs élèves. C'est la seule fonction d'un enseignant : apprendre à ses élèves à aimer la vie et à la comprendre."